Dans Rust, « vous êtes comme vous êtes »

Dans la plupart des jeux en ligne, le joueur peut choisir l'apparence de son personnage. Dans Rust, le développeur impose dorénavant le visage et la couleur de peau du personnage. Les réactions des joueurs sont diverses.

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Dans le jeu vidéo, la notion d'avatar peut peu ou prou se comprendre de deux façons : des personnages archétypaux dont le joueur endosse la personnalité (le plus souvent dans les jeux solos où le personnage, de Marion à Lara Croft, contribue à contextualiser l'atmosphère de jeu) ou des personnages dont on pourra choisir l'apparence avec plus ou moins de détails -- l'option est courante dans les jeux en ligne où les personnages doivent pouvoir être distingués « physiquement » les uns des autres.
Rust inaugurait récemment une troisième voie : des personnages dont l'apparence est arbitrairement imposée aux joueurs (générée aléatoirement à partir de la combinaison de différents éléments), non modifiable et liée au compte Steam du joueur pour s'assurer qu'il ne puisse pas en changer.

« Tout le monde a dorénavant un visage et une couleur de peau plus ou moins unique. Exactement comme dans la vie réelle, vous êtes comme vous êtes -- c'est-à-dire que vous ne pouvez pas changer votre couleur de peau ou votre visage. C'est pour l'instant lié à votre Steam ID. »

Une approche plutôt atypique dans un jeu en ligne que le développeur explique par la volonté de distinguer les personnages « physiquement » : éviter les clones et faire en sorte que les joueurs puissent « se reconnaître par de-delà un simple nom, un peu comme des empreintes digitales ». Après quelques jours d'expérimentation, interrogé par Kotaku, Garry Newman dresse un bref bilan de la mesure et explique que les joueurs échangent déjà vocalement et se reconnaissent à leur voix : le développeur souhaitait pousser cette logique d'identification un peu plus loin. Mais la démarche se veut également politique pour illustrer « que la couleur de peau est arbitraire » et que « quelle que soit la couleur de peau des avatars, ils peuvent oeuvrer de concert dans le jeu ».
En place depuis quelques jours dans Rust, la mesure ne laisse évidemment pas les joueurs indifférents. Que ce soit sur Steam ou Reddit, certains joueurs demandent comment changer de couleur de peau (PCgamesN en compile certain : « je suis noir [dans le jeu], je veux être blanc, ce n'est pas pour être raciste, c'est juste que je ne trouve pas comment changer »). D'autres trouvent la démarche intéressante, mais réclament néanmoins des options de personnalisations (pour changer la coiffure de leur personnage ou lui ajouter des tatouages ou des cicatrices).

Au-delà des réactions individuelles, le développeur s'est surtout attaché à monitorer les réactions collectives des joueurs dans le jeu. Certains actes de racismes ont été notés mais d'après Garry Newman, « ils se sont toujours exprimés de façon minoritaire et le plus souvent, les autres joueurs du serveur intervenaient pour prendre des mesures : ils oeuvraient de concert pour le traquer ».
De même, après discussions internes, le développeur a décidé de ne pas « censurer » les comportements racistes constatés in-game : selon le développeur, « tout peut arriver » dans Rust et pour Garry Newman, il convient de « laisser les joueurs explorer ces différentes facettes ». Il poursuit : « rien ne me rendrait plus heureux qu'un joueur blanc incarnant un personnage noir puisse appréhender même virtuellement ce que c'est que d'appartenir à une minorité persécutée » (il se définit lui-même comme « un homme blanc de 32 ans peu à même de comprendre ces problématiques »), quand bien même il n'y a pas réellement de « minorité » dans Rust, « du moins en termes chiffrés » puisque les apparences et couleurs de peau de personnages sont attribuées de manière équilibrées.
Si l'expérience intrigue, on en voit aisément les limites -- on se « déconnecte » (dans tous les sens du terme) plus facilement de son jeu en ligne que sa vie réelle. Pour autant, quelle qu'ait été les motivations du développeur (acte politique, étude sociologique voire simple coup de pub), on sera sans doute curieux de suivre les évolutions qui seront données à l'expérience tant par les joueurs que par le développeur -- la mesure sera-t-elle durablement maintenue ou plus ou moins largement amendée ? Mais on sera peut-être surtout curieux de déterminer si elle restera sujet à débat ou simplement oubliée par les joueurs et le développeur au profit d'autres fonctionnalités plus ludiques, ayant vocation à enrichir le gameplay.

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